Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                       PARU DANS  LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N° 22 - 2020

 

Un artiste revélois peu connu :
Alfred (Antoine-Paul) Pagès

par Jean-Paul Calvet

 

 

 

Par cet article, nous avons voulu, avec l’accord de sa fille Odette et de son petit-fils Francis, rendre hommage à un Revélois aujourd’hui disparu, bien connu des anciens Revélois et qui s’appelait Antoine Paul-Alfred Pagès.

Alfred Pagès était né à Revel le 15 février 1895. Après ses études au collège (qui était situé à l’emplacement de la Mairie actuelle), son père Jean-Baptiste Pagès (dit « le Baptistou ») le prend en main avec lui, à la forge, pour lui enseigner le beau et rude métier de forgeron-maréchal-ferrant.

 

La forge était située sur le Boulevard de la République juste à côté de l’actuel café des Sports tenu à l’époque par Madame Salvy.
Devant la maison se trouvait un grand trottoir abrité par un platane, puis le Boulevard de la République où se situait « le Mercadial » qui signifie « l’endroit où il y a le marché ».
Sur ce « mercadial », il y avait un « travail à ferrer »  où bœufs et chevaux (de trait le plus souvent) étaient « ferrés », les chevaux étant ferrés sur le trottoir devant la maison.

Au collège, le jeune Alfred, s’il ne fut pas très brillant en mathématiques, excellait en français, peinture, dessin et musique.
Très vite, plusieurs passions l’habitent qu’il va développer : la peinture, la musique, l’écriture …

Comme le précise un article de presse de l’Indépendant en 1971 « rêvait-il par instants au bruit de son marteau qui frappait le fer rouge sur l’enclume, de dessins et de couleurs sur une toile ? ».

Alfred artiste peintre

Une de ses premières œuvres et sans doute la plus belle, il la réalise à l’âge de 30 ans, dans sa maison rue de Fuziès : le portrait grandeur nature de son père à la forge. Il le peint au travail devant le fourneau, tablier de cuir autour de la ceinture, actionnant de sa main gauche avec force la chaîne qui permettait au grand soufflet d’activer le

feu ; la main droite tenant une pièce en fer en train d’être forgée.
D’autres détails sont parfaitement visibles : bain de forge, chevalet avec son enclume, divers outils…

Le rendu de la lumière et les tons des couleurs sont significatifs de la dextérité de l’auteur faisant penser à Georges de la Tour ou à l’œuvre des frères Le Nain « La forge ». Cette peinture ne fut montrée à son père qu’une fois terminée et « le Baptistou » (surnom de son papa) n’en croyait pas ses yeux.

De 1925 à 1982, il réalisa plus de 80 tableaux peints à l’huile sur toile et certains sur bois. Plusieurs concernent la ville de Revel et ses environs, nous les avons publiés dans cet article.

En 1952 (après 40 années de métier), Alfred tombe malade et abandonne la forge. Il va occuper son temps à assouvir son désir : peindre.

Il prend un chevalet et dessine, peint les paysages qui l’entourent : sous-bois, paysages, lac et gerbe de St-Ferréol, clair de lune sur le lac, le beffroi et la place centrale, le clocher de Sorèze, l’Abbaye d’En Calcat, paysage de Soual, de vieux moulins à vent, etc.
Il va aussi s’essayer avec succès à reproduire des tableaux religieux de grands maîtres : la Vierge et l’Enfant, Notre-Dame du Sacré-Cœur ; il y a aussi des chevaux, des têtes de chiens.
Une œuvre est remarquable et a été présentée lors de la célébration du centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918 (par notre association), c’est la reproduction de mémoire exécutée en 1959 des « poilus du 20ème de Marmande un jour de mai 1915 » (d’après des croquis dessinés sur place).

L’ancienne forge est devenue un magasin ; c’est là qu’il conçoit des œuvres avec un véritable arsenal de professionnel : chevalets, pinceaux, palettes, boîtes de couleurs, divers flacons de solvants et des toiles en attente d’être peintes !

Ce « magasin » est une vitrine ouverte sur l’extérieur et le peintre vend pour des sommes modiques plus de 1000 toiles. La plupart sont des peintures du beffroi et de la place. Il y donnait aussi des cours de solfège et de musique en général à des adolescents.

Sa fille Jeannine Pagès synthétise ainsi la vie de son père :

« En fait c’était un homme qui s’arrangeait la vie en faisant en sorte de ne s’ennuyer jamais, avec de petits moyens, certes. Il n’avait pu changer le monde plein de bêtise et de cruauté qu’il avait connu lorsqu’il avait dix-neuf ans et il s’en était fabriqué un autre, bien à lui, enfermé dans sa tour d’ivoire où l’on ne pouvait pas lui enlever ses illusions. Rien ne pouvait plus l’atteindre. Il avait déjà donné  ».

Alfred musicien

Entre-temps, au premier étage de sa maison, il joue de la clarinette.
Dès les années 30 il avait formé un orchestre de quatre personnes qui organisait des bals champêtres dans les petits villages, mais aussi lors de mariages à la campagne.
Cet orchestre se produira aussi lors des fêtes de Revel et fera danser Revélois et Revéloises ; il était constitué d’un piston ou trompette, d’un saxophone ténor, d’une grosse caisse avec cymbales et balais métalliques et … de l’accordéon d’Alfred formant ainsi un véritable et harmonieux quartette. Sa renommée fit rapidement le tour de la contrée . Il était sollicité par tous d’autant plus que, bien souvent, ces soirées se finissaient par des repas pantagruéliques fortement égayés par Alfred qui racontait des histoires en patois dont il avait un répertoire varié et infini !

Sur ses vieux jours le répertoire musical rappelait les vieilles romances de sa jeunesse, il disait « Sur mes vieux jours ça me remonte le moral et ça me fait du bien ».

Une photo de groupe devant la mairie de notre ville, porteur d’une clarinette rappelle qu’il était aussi membre de l’orchestre symphonique de Revel.

Alfred … chanteur à l’occasion

Même s’il ne chantait pas en public, on sait par ses filles Odette et Jeannine qu’il prenait plaisir à chantonner le soir devant un bon feu de bois.
S’il aimait les vieilles romances, il n’hésitait à investir le domaine des chansons légères dont nous avons ici retranscrit les paroles écrites de mémoire dans le livre de sa fille Jeannine « C’était avant … » (voir l’encadré).


Alfred comédien

On retrouve Alfred Pagès sur les planches du Music-Ciné à Revel. Il joue la comédie dans des rôles comiques où il excelle.

Alfred chroniqueur : « Le Janou del Mouli »

Il s’était fabriqué un sobriquet pour écrire et publier de façon anonyme des chroniques en patois local, ainsi il restait incognito … Les « feuilles » ainsi publiées faisaient le tour de la ville pour le plaisir des habitants.
L’occitan, qu’il maîtrisait parfaitement, lui donnait l’occasion, outre ses chroniques, de tenir de succulents monologues dont sa fille Odette a pu réunir quelques documents.

Le « poilu » de 14-18

« Longue et massacrante » fut la guerre de 14/18 ; il devait y participer, il avait 19 ans !
Il se retrouve avec le 20ème de Marmande dans la boue des tranchées, le sang, les excréments. Il raconte, dans sa correspondance, la souffrance de ses camarades, la mort de ses collègues de combat. Il est blessé à Verdun par un éclat d’obus et hospitalisé.

Remis de sa blessure, il est envoyé avec le corps expéditionnaire à Salonique, ville de Macédoine où se trouvait une base de l’armée alliée d’Orient sur le front des Balkans. Il est sous le commandement du général Franchet d’Esperey (qui deviendra maréchal de France et mourra à Saint-Amancet). Il y restera jusqu’à l’armistice.

Sa famille

Le 20 avril 1922 il se marie avec une jeune revéloise, Marie-Louise Segonne.
Le couple aura quatre enfants : Jean (20 février 1923), Claude (22 novembre 1925), Jeannine (30 août 1929) et Odette (14 mai 1934).

Ses distractions

On pouvait le voir assez souvent sur les bords de la Rigole afin de taquiner le goujon, le plus souvent avec son ami Léon Mithridate … Il fréquentait aussi dans d’autres lieux de pêche.

Alfred Pagès décédera le 16 avril 1982 à Revel.

PORTRAIT PAGES ALFRED PAGES

Transcription faite de mémoire par Jeannine et Odette Pagès (cette dernière nous l’ayant même chantée) :
« les paroles n’étaient pas tristes en tous cas, çela donnait à peu près ceci … » (cf. « C’était avant … », pp. 27-28).
La chanson « La p'tite dame des Galeries » a été interprétée par Mayol (cf. site internet Wikiparoles).

1er couplet

L’autre jour, aux galeries Lafayette
Je me promenais, l’air songeur
Quand, dans l’ascenseur
J’aperçus l’âme sœur ;
Ce devait être une femme honnête
Car elle venait, le croiriez-vous ?
D’acheter du pilou
Pour s’en faire des dessous !
Je lui dis : « Votre mari ce doit être un vieil abruti ! » Oh oui,
Une espèce d’idiot
Qui vous refuse même un chapeau !
À cet individu vous le faites, j’en suis convaincu,
Cocu ! »
La belle me répond : « Mais, Monsieur,
Vous le connaissez donc ? »

2ème couplet

Je la suis d’étages en étages,
Elle achète une robe, des souliers,
Des taies d’oreillers, trente boîtes de papier,
Une demi-douzaine de corsages
Avec un manteau d’opossum.
J’étais chargé comme une bête de somme !
Je lui dis « Je vais aussi t’offrir un flacon de patchouli ! »
« Oh oui ! »
« Ce fer à friser
Et chaque soir, pour m’amuser,
Doucement, tu verras,
Je te friserai tout ce que tu voudras ! »
« Non pas !
Les cheveux seulement, ailleurs je frise naturellement ».

3ème couplet

Quand j’eus payé toutes ses dettes
Je lui dis, le cœur plein d’émoi :
« Viens jusque chez moi, je te dirai pourquoi ».
« Jamais me répond la coquette,
Mon mari me suffit amplement !
C’est un homme charmant
Je l’aime éperdument ! »
- « Alors l’idiot, l’abruti, c’est moi, ce n’est pas lui ? ».
- « Eh oui,
Ce soir, dans notre lit,
J’étrennerai vos chemises de nuit,
Aussi,
Nous serons reconnaissants et penserons à vous
De temps en temps ! ».
- « Vraiment ? »
- « Oui, chaque fois, mon cher,
Que nous aurons des poires comme dessert ! »

 

Sources :
- informations et documents fournis par sa fille Odette Pagès,
- article de l’Indépendant et Sud-Ouest de 1971,
- la publication de sa fille Jeannine Pagès « C’était avant… », Aldéran-Éditions Toulouse, 2008, 74 p.
- la chanson « La p'tite dame des Galeries » a été, à l’époque interprétée par Mayol (cf. site internet Wikiparoles).

 FORGERON LA HALLE

Le forgeron d’après nature - portrait de Jean-Baptiste, son père. --------------------------------------------------- La Halle et le Beffroi de Revel depuis les « garlandes ».

Ferrage d’un cheval sur le boulevard de la République.

FERRAGE
 



« Les Poilus du 20e de Marmande »

 

Un groupe de la 11e Cie du 20e Régiment d’Infanterie en première ligne aux tranchées de Ronville, faubourg d’Arras en mai 1915.
Peinture authentique d’après des croquis de l’époque (réalisés in situ).
Le secteur est calme ; chaque poilu se distrait un peu pour chasser le cafard.
À cette époque les anciens portaient encore la tenue bleu-marine. Le pantalon et le képi étaient de couleur rouge ; on n’avait pas encore donné le casque.
Dans la notice qui accompagne cette peinture les personnages sont identifiés : le sergent Rondel, les soldats Dedieu, Delbourg, Vignaux, le caporal Roques, le soldat Granereau, le clairon Lacoustède. En arrière-plan un adjudant et la corvée de soupe effectuée par les soldats Camon et Pégoud
Antoine Pagès (classe 1915) a été incorporé au 9e Régiment d’Infanterie (R.I.) le 19 décembre 1914 ; il passera au 7e R.I. le 23 avril 1915.
Le 22 mai 1915, il passe au 20e R.I. et est trouvé blessé le 26 juillet 1916 par un éclat de grenade à Thiaumont (avant-bras droit avec fracture du radius). Il sera réformé le 2 mars 1917 et rejoindra le service auxiliaire par détachement au dépôt des métallurgistes de Toulouse le 3 avril 1917.

L'ouvrage de Thiaumont est un ouvrage fortifié du système « Séré de Rivières », situé au nord-nord-est de la commune de Fleury-devant-Douaumont dans la région de Verdun. Sa particularité est d'avoir été détruit par les pilonnages d'artillerie lors de la bataille de Verdun en 1916.


POILU

Souvenir de tranchée - croquis effectué sur place puis reproduit en peinture à Revel.

Cour d’entrée du château de Montgey.

 

CHATEAU VAUDREUILLE

 


. Très exactement au n° 12 du boulevard de la République où les parents d’Alfred Pagès s’installent au premier étage (la forge étant au rez-de-chaussée) dans un trois-pièces-cuisine bien ensoleillé qui surplombe le « grand foirail » où se trouvait le marché aux bestiaux.

. Appelé aussi simplement « travail » (au pluriel « travails » et non travaux) qui est un dispositif plus ou moins sophistiqué (autrefois fixé dans le sol, et de nos jours mobile) conçu pour maintenir et immobiliser de grands animaux (chevaux et bœufs), en particulier lors du ferrage.

. D’après la publication de Jeannine Pagès « C’était avant… », Aldéran-Éditions Toulouse, 2008, 74 p.

. Après la deuxième guerre mondiale, il jouait de l’accordéon et du jazz-band !

. Mais pas trop loin car ils se déplaçaient à vélo (avec certainement une petite remorque pour la grosse caisse) ; tard dans la nuit ils revenaient à leur domicile, éclairés par une petite lampe à acétylène (qui dispensait une lumière fort blanche) adaptée au vélo.


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